DSC_3303.JPG

Le Dojo

Dojo

Le Dojo: un lieu d'étude et de pratique

Le terme dojo (道場) est depuis longtemps passé dans le langage courant et a donc perdu un peu de son mystère et de son intrigue. Aujourd'hui, on ne sait pas tout à fait ce que cela signifie vraiment et on le confond parfois avec une simple salle de sport, bien qu'il ait une symbolique forte qui le distingue de tout autre lieu de pratique.

Dojo est un mot d'origine japonaise qui a vu sa popularité augmenter avec l'invention du Judo par Kano Jigoro shihan et sa démocratisation avec l'avènement des arts martiaux. Le terme a également une dimension philosophique qui a ses racines dans le bouddhisme asiatique. L'origine du mot Dojo se trouve dans le sanscrit «Bodhimandala» ou «lieu d'édification», lieu sacré pour construire le chemin ou lieu de l'éveil. Quand cela est arrivé en Chine, il a été traduit par 道場. Le caractère «JO» en japonais (en chinois «Chang») désigne le lieu, tandis que le caractère «DO» désigne le chemin (en chinois «Dao» ou «Tao»). Etymologiquement le dojo est donc le lieu où l'on étudie le chemin. En d'autres termes, c'est le lieu où l'on s'élève tant physiquement que mentalement et philosophiquement. À l'origine, le dojo était une salle pour apprendre et pratiquer le bouddhisme à travers le Nembutsu, le Zen et d'autres formes du bouddhisme. Peu à peu, le lieu de pratique du Bujutsu ou des arts martiaux est devenu le Dojo. Cela explique aussi que, tant dans le cas d'un dojo où l'on étudie les arts martiaux que pour celui-ci servant de lieu d'étude et de pratique du bouddhisme, des règles strictes sont instituées et il appartient aux pratiquants de les faire respecter. Souvent isolé, de taille modeste et construit sans fioritures ni décoration extravagante, le dojo était donc un lieu d'éveil (Satori) qui est rapidement devenu un symbole particulièrement fort en judo.

On sait que Kano Jigoro shihan a été fortement inspiré par le confucianisme. Le grand philosophe chinois a expliqué dans le «Livre des Rites» que l'on construit le chemin en partie par l'étude et en partie par l'enseignement. Cette approche philosophique nous permet de compléter la définition d'un dojo en ajoutant qu'il est, «le lieu où l'on s'éveille progressivement par l'étude et l'enseignement». On peut donc dire que le dojo, au-delà de la dimension physique du lieu, représente, dans son essence même, un espace énergétique exceptionnel, un lieu 'sacré', où à l'origine non seulement un instructeur et des étudiants se réunissaient, mais un maître et des disciples, même si cette notion a parfois évolué vers une relation plus mercantile. C'est toujours un lieu où l'on respecte les valeurs morales du judo et la tradition de l'art martial originel, tel que défini par Kano Jigoro shihan en 1882. Pratiquer sans ce respect, dans un dojo, c'est un manque de reconnaissance des anciens et des valeurs du sport et de la société.

Le dojo est un lieu où l'élève, ainsi que l'instructeur, peuvent développer leur personnalité et découvrir un art de vivre pas à pas. En poussant les portes du dojo, le pratiquant quitte son quotidien à l'extérieur, pour s'enrichir intérieurement, avec un esprit libre, avec le contenu de l'enseignement. Le respect, la droiture, la politesse, l'humilité sont des valeurs qui dominent dans les limites de ce lieu et qui sont destinées à être prises à l'extérieur pour l'édification d'une société plus juste. La vie et les attitudes dans un dojo ont été organisées, au fil des ans, selon des valeurs codifiées que tout judoka qui va au Japon aujourd'hui peut encore ressentir. Le praticien expérimenté (Sempai) et les débutants (Kohai) doivent parfaitement maintenir le lieu, les rôles de chacun étant bien établis : le Kohai doit faire preuve de respect, d'obéissance et de considération envers le Sempai, tandis que le Sempai est responsable du comportement du Kohai et la mission est de le guider à travers les étapes de leur progression.

Traditionnellement, le dojo ne doit pas être construit de toute façon. Par exemple, il doit suivre des règles strictes concernant son orientation. «Shomen » (正面) ou «Dojo front» est installé dans le dojo. En règle générale, Shomen est situé à l'extrémité nord du dojo, qui fait face au sud, et est traité comme «Kamiza (上座)» ou «Joseki » (上 席), c'est-à-dire « sièges supérieurs ». Aujourd'hui, le Shomen est le plus souvent décoré d'un portrait ou d'un autre objet symbolique lié à la discipline enseignée. L'enseignant s'assoit parfois dos à Shomen, mais il y a aussi l'idée que même les enseignants ne tournent pas le dos à Shomen. La même chose s'applique aux invités. Le côté opposé est traité comme «Shimoza» ou «sièges inférieurs», où les étudiants s'assoient. Les étudiants y sont situés dans un ordre habituel. Contrairement aux coutumes européennes, dans les pays de l'Est comme le Japon, le côté gauche est considéré comme le siège supérieur et le côté droit comme le siège inférieur. Ainsi, vu de l'avant, les étudiants les mieux classés sont du côté gauche et le côté droit les moins bien classés sont du côté droit. De cette manière, dans le dojo, les lignes verticales et horizontales ont respectivement des sièges supérieur et inférieur. Dans la ligne verticale, le haut est Shomen, et le plus éloigné, le plus bas. Sur la ligne horizontale, vue de face, la gauche est plus haute et la droite est plus basse (face à l'avant, la droite est en haut et la gauche est en bas). La règle d'installer Shomen côté nord et face au sud est cependant souvent difficile à réaliser en fonction des conditions du dojo, de la relation entre les bâtiments voisins…

C'est une pratique courante, tant au Japon qu'en Europe, de placer le siège supérieur loin de l'entrée. Ainsi, il devient difficile de respecter la règle lorsque l'entrée se trouve effectivement du côté nord. Par conséquent, dans de nombreux dojos aujourd'hui, il n'est pas possible de s'assurer que Shomen est face au sud. Les Dojo sont ainsi construits de manière à respecter la réalité tout en comprenant les conventions. Certaines références disent que cet arrangement pourrait être historiquement expliqué par le fait que les débutants près de la zone d'attente étaient près de la porte d'entrée et de sortie du dojo. Cela correspondait au coin «sans rang» et «sans nom», c'est-à-dire ceux qui ont été tués en premier lorsque le dojo a été attaqué. En revanche, ceux qui avaient le plus haut rang protégeaient le maître avec leur sabre. Nous parlons ici des temps ancestraux qui ont laissé leur empreinte sur le présent et d'un sentiment de mystère qui ne peut être confirmé.

Théoriquement, une signification symbolique peut également être trouvée parfois dans le fait que les enseignants sont tournés vers le Sud. De cette position ils reçoivent la lumière du soleil, une énergie qui correspond à la connaissance qu'ils doivent transmettre. Leurs élèves ne peuvent voir cette lumière qu'à travers la réflexion offerte par les enseignants, qui doivent donc être les miroirs les plus fidèles possibles.

Un fait vrai est qu'au Japon, où le climat est doux et la quantité de pluie modérée, il y avait des arbres abondants, donc la construction était principalement en bois. Le bois était et est encore souvent considéré comme la source de la vie. De plus, au Japon, le froid et la chaleur n'étaient pas si sévères, donc le chauffage et le refroidissement ne se sont pas développés. En conséquence, le dojo n'utilisait pas le chauffage en hiver et le refroidissement en été, il était donc possible de maintenir une relation étroite avec les changements de la nature environnante.

Les anciens ont veillé à ce que les jeunes gardent le dojo dans un état de propreté indispensable à la pratique du chemin. Dans le passé, c'était un honneur en tant que pratiquant de nettoyer le dojo et il n'était pas rare de voir des anciens et des détenteurs de High-Dan balayer le tatami ou essuyer le parquet avec un chiffon humide.

Il peut s'agir d'une action née de l'idéologie du Shinto, une religion indigène du Japon, qui a été transmise depuis les temps anciens, éliminant les impuretés et gardant une nouvelle vie. Cette propreté japonaise était la caractéristique la plus évidente du dojo. On pouvait être modeste, franchement délabré, mais il n'en était pas moins brillant comme un sou neuf. Pratiquer autrement dans un dojo traditionnel est une faute d'éducation. Ces règles, désormais enracinées à travers plus de millénaires, ont été transmises de génération en génération et sont toujours visibles dans de nombreux lieux de pratique.

Si aujourd'hui le terme dojo est appliqué à de nombreuses installations et qu'il ne désigne rien de plus qu'un club avec quelques tatamis, il est important de garder à l'esprit la symbolique du lieu et de faire respecter les valeurs, aussi utiles à l'individu qu'au groupe. Les dojos, dignes de ce nom, où la voie est encore enseignée, ont parfois tendance à disparaître au profit des salles de sport, où les règles de base comme le respect, la discipline ou encore la tolérance, ne s'appliquent plus avec autant de force. Cependant, tous doivent savoir que le pratiquant qui ne respecte pas le dojo, ne respecte pas non plus les maîtres et les valeurs du sport. De nos jours, la pratique des arts martiaux et du judo en particulier s'est démocratisée, pour le plus grand plaisir de millions de judoka à travers la planète. Les pratiquants sont souvent nombreux, l'ambiance studieuse et joyeuse, l'enseignement chaleureux. Néanmoins, il reste important de respecter un certain principe qui fait partie intégrante de l'ADN de notre sport, car sinon que restera-t-il de l'enseignement après quelques années si le code moral n'est pas respecté ? Notre jeune judoka serait-il encore capable d'expliquer toute cette culture et cette philosophie qui ont convaincu les parents du monde entier d'encourager leurs enfants à pratiquer le judo, si le professeur ne leur inculque cette part de tradition qui a tant de sens ? Le dojo est un lieu de symboles où sont appliqués des principes qui favorisent le vivre ensemble. C'est un lieu de liberté d'expression dans le respect des autres. C'est pour cette raison, entre autres, qu'un dojo, où qu'il se trouve, est un lieu de non-discrimination, ouvert à quiconque souhaite découvrir le chemin. Ce chemin est un chemin de vie que nous entreprenons lorsque nous mettons notre premier judogi et qui trouve des prolongements dans la vie de tous les jours, dans la vie professionnelle et familiale. C'est pour toutes ces raisons que lorsque l'on franchit la porte d'un dojo, il faut suivre des règles

qui relèvent à la fois du bon sens et de la tradition des arts martiaux. On note sous ces règles, le respect du lieu, qui n'est plus abordé comme un simple lieu mais comme une entité chargée de sens. Toute entrée et sortie d'un dojo commence donc par un salut et un moment de silence. Plus tard, nous nous assurerons toujours de saluer notre partenaire. Il est important d'être à l'heure pour ne pas déranger ceux qui ont déjà commencé une séance. En cas de retard, nous devrons peut-être attendre la permission du professeur pour marcher sur le tatami.

Le judo se pratique en judogi, un judogi qu'il nous appartient de maintenir et avec une ceinture qui correspond à notre niveau. L'hygiène a toujours été une marque de respect de soi et une marque de respect d'autrui. Il est également indispensable dans le lieu de pratique du judo. C'est pourquoi, en cette période de pandémie, le judo, bien qu'il soit un sport de contact, reste néanmoins un sport sûr. Les gestes de protection et d'hygiène ont toujours été les maîtres mots du judo. Pour les raisons qui ont été expliquées, nous prendrons la place qui nous a été attribuée lors de la proue et nous ne porterons aucun bijou qui pourrait potentiellement nous mettre ou mettre en danger autrui. Un dojo est un lieu de vie, un lieu de pratique du judo, mais ce n'est ni un restaurant ni un bar branché où les gens parlent trivialement. Veillez à avoir une attitude et une tenue correcte en toutes circonstances. Lors d'une séance de judo, il n'est pas possible, par exemple, de s'étirer sur toute sa longueur sur le tatami, à moins d'être invité par l'enseignant dans le cadre d'un exercice spécifique. Ces quelques règles, qui garantissent le respect mutuel, s'appliquent aux pratiquants bien sûr, mais aussi aux spectateurs.

Tous ces éléments ne sont pas des contraintes. Ce sont des lignes directrices pour apprendre à grandir personnellement dans le cadre d'un groupe de construction. Le dojo doit être un lieu sûr, permettant à chacun de suivre son chemin tout en respectant celui des autres. Nous étudions, pratiquons et apprenons en faisant, pour qu'à la fin, chacun puisse vivre sa vie, armé pour affronter tous les aléas de la vie. Le dojo est un lieu de respect, un lieu d'ouverture qui respire et qui souffre si on n'en prend pas soin. Il fleurit si nous le considérons attentivement. Kano Jigoro shihan n’a pas seulement créé un sport, il nous a donné des outils de développement qui sont aujourd'hui plus que jamais nécessaires pour que tout le monde prospère. Le dojo est un élément central de notre vie de judoka.

Texte: Nicolas Messner – Directeur Communication et Média FIJ et Directeur Judo pour la paix Photos

Le Dojo de Vesoul